Une île mondaine de la Belle Epoque

Berder est une petite île du Golfe du Morbihan, bien connue des touristes, dont on peut faire le tour en à peine une heure. Située en face de Larmor-Baden, on peut librement y accéder à pied, tout du moins lorsque la marée le permet. L’île est aujourd’hui calme et surprend à bien des égards par son architecture et sa végétation. Et pour cause! La main d’un homme l’a façonnée, au point d’en faire, à la Belle Epoque, un endroit mondain renommé.

Le manoir de l'île Berder. Carte postale. Collection particulière.

Cet individu se nomme le comte Arthur Dillon. Ancien militaire devenu secrétaire de la Compagnie du câble transatlantique, il achète Berder en 1879. A l’époque, l’île est peu développée. Arthur Dillon décide alors de mettre à contribution ses idées et sa fortune pour la transformer. La petite maison devient rapidement un grand manoir, presque entièrement décoré de la main d’un peintre italien. Des dépendances sont également construites à proximité, la chapelle est rénovée pour le mariage de son fils, une pêcherie voit le jour…

Cette folie des grandeurs s’accompagne d’une quête frénétique du confort et de la modernité : bureau équipé d'un appareil Morse pour le télégraphe, salle de billard, laboratoire photographique, atelier de peinture… Quoi de plus normal pour quelqu’un qui roulerait dans une voiture électrique Krieger ? A l’extérieur, le comte fait planter des oliviers et des palmiers, et construire un manège à chevaux. En fin de compte, la seul faiblesse de son île, c’est son… insularité. Qu’à cela ne tienne! Pour rejoindre le continent à pied, le comte fait construire un gois. Puis, tant qu’il y est, fait construire un port (port Dillon) pour amarrer ses nombreux bateaux et accéder rapidement à Vannes.

En quelques années, Arthur Dillon fait de Berder une île à la pointe de la modernité. Bien que condamné à l’exil en raison de sa complicité avec le général Boulanger, il n’en devient pas pour autant infréquentable. C’est d’ailleurs après l’amnistie de 1895 qu’il fait de Berder une île mondaine estimée. De nombreuses personnalités se succèdent pour profiter de ce petit coin de paradis sur les bords du Golfe du Morbihan. La première d’entre-elles est la duchesse d’Uzès, riche héritière de la maison de Champagne Veuve Cliquot, et monarchiste convaincue. Sont également aperçus Sarah Bernhardt, le jeune archiduc Charles d’Autriche alors âgé de 15 ans et accompagnés du duc et de la duchesse de Rohan (voir ci-dessous 1)... Malheureusement, le cadre privé de ces rencontres ne nous permet pas de savoir avec certitude l’identité des convives (voir ci-dessous 2).

Vue générale de Berder depuis Larmor. Carte postale. Collection particulière.

Ce qui est certain, c’est que ces renommés invités viennent chercher le confort et la tranquillité de l’île pour y faire du cheval, flâner ou encore se balader sur le Golfe à bord du yacht personnel du comte, le Manuella. Pour faire plaisir à ses convives, Arthur Dillon n’hésite pas à sortir le grand jeu. En 1907, pour assister à une cérémonie donnée sur le croiseur-cuirassée Léon Gambetta amarré en baie de Quiberon, il loue un vapeur à la ville de Vannes (voir ci-dessous 3). Le comte ne se fixe aucune limite, pas même celle de développer un projet pharaonique de port en eau profonde. Cette ambition lui coûte peut-être sa fortune. Ruiné, il est alors contraint de revendre Berder à son amie la duchesse d’Uzès (voir ci-dessous 4). Il y termine malgré tout sa vie en 1922, loin de l’agitation d’une île qui fut, l’espace de quelques années, l’une des plus prisées de Bretagne.

Yves-Marie EVANNO

http://enenvor.fr/eeo_actu/bellepoque/berder_une_ile_mondaine_de_la_belle_epoque.html

1 « Une excursion princière », Le Nouvelliste du Morbihan, 24 juillet 1902.

2 Il se raconte que la Louise Michel y serait venue à son retour d’exil. Aussi surprenante soit cette présence, elle est néanmoins probable tant la communarde s’était liée d’amitié avec la duchesse d’Uzès.

3 LE BERRIGAUD, Aimé, « La duchesse d’Uzès », Bulletin annuel de la Société d’Histoire et d’Archéologie du Pays d’Auray, n°9, 2011, p.11-24.

4 La date fait débat. Pour certains auteurs la transaction aurait été effectuée en 1908. Il est plus communément admis qu’elle se soit déroulée en 1920.