Découverte des îles Kerguelen

le 12 février 1772

Brève incursion aux îles Kerguelen, soumis aux tempêtes des quarantièmes rugissants, battu par les vents et la bourrasque, longtemps « terra incognita » , et pourtant d’une superficie presque équivalente à celle de la Corse...

S’il fallait un prétexte pour évoquer les Kerguelen, il suffirait de parler de son grand découvreur missionné par Louis XV en personne pour devancer nos éternels rivaux anglais dans la découverte du fameux continent antarctique supposé assurer l’équilibre physique du monde.

C’est en effet Yves Joseph de Kerguelen de Tremarec, noble sans fortune né en 1734 qui, le premier, apercevait dans l’oculaire de sa lunette les montagnes désolées de ce qu’il croyait être un continent. À 27 ans, cet homme commandait déjà un navire menant une guerre de course aux Antilles pendant la guerre de sept ans. À 33 ans, il se voyait confier un navire de protection des pêcheurs en Islande. Spécialiste des mers froides, il rapportait lors d’une mission en 1768 deux oursons blancs destinés à la ménagerie du roi Louis XV... Plus tard encore, il était fait contre-amiral des armées révolutionnaires affrontant les Anglais devant le l’île de Groix, au large de Lorient....

....Eh bien c’est ce marin breton exceptionnel qui conduira deux expéditions le menant aux Kerguelen, mais qui fut ensuite condamné à 20 ans de forteresse précisément en raison des circonstances de la découverte de l’Archipel...

Le grand paradoxe de cette aventure, c’est que Kerguelen, qui a découvert l’Archipel portant aujourd’hui son nom, rebaptisé trois ans après sa prise de possession “ îles de la désolation ” par le grand Cook, Kerguelen donc, n’aura pas mis une seule fois les pieds sur aucune de ces nouvelles terres émergées qui l’ont pourtant tellement fasciné.

Ce sera plus tard l’un des principaux griefs relayés par ses officiers au retour de la seconde expédition, et par Mr Sartine, ministre de la marine de Louis XVI, qui était défavorable à ces expéditions coûteuses et lointaines. Mais ce ne sera pas le seul....

Mais sans plus anticiper, revenons à la première expédition. Nous sommes à Lorient, siège de la compagnie des Indes, lorsqu’en mai 1771 à l’âge de 37 ans, Kerguelen prend le commandement du vaisseau “le Berrier” pour tenter de découvrir le continent antarctique. Après une escale à l’île de France, actuelle île Maurice, il poursuit sa navigation plein sud vers les mers froides avec deux navires affrétés à Maurice, La Fortune qu’il commande et le Gros Ventre, mené par son ami Saint Allouarn.

Le 12 février 1772, l’expédition parvient en vue d’une terre dans laquelle Kerguelen croit apercevoir le continent qu’il recherche. Il décide de donner à cette terre le nom de “ France Australe” » alors qu’il s’agit bien de l’archipel qui portera son nom.

Peut-être par dérision devant ce spectacle de désolation, Kerguelen a eu un moment l’idée de baptiser cette terre du nom de son navire, “la Fortune”.

Mais l’île se présente dans le mauvais temps sous un aspect particulièrement sinistre (Royaume des Ombres comme dira la navigatrice Isabelle Autissier) ; elle paraît inabordable, même pour des marins aussi expérimentés, sans mettre en danger la vie des équipages ,eux-mêmes épuisés par le grand froid, le blizzard et les manoeuvres incessantes.....

Kerguelen et Saint Allouarn vont rechercher dans une quasi tempête un abri qu’ils finiront par découvrir au sud de l’île, mais où seul pourra s’aventurer le Gros Ventre équipé d’une chaloupe prélevée sur la Fortune et doté d’un moindre tirant d’eau.<:p>

Les deux commandants se sont donnés rendez-vous après la prise de possession des lieux au large des îles Kerguelen, où devait les attendre la Fortune.

Devant l’aggravation du temps, et ne voyant pas revenir le “Gros Ventre”, Kerguelen décide de donner l’ordre de repli et fait tirer à cet effet des coups de canon dont le fracas restera couvert par le rugissement des vents et le grondement de la mer. Puis il décide de repartir vers l’île de France, Madagascar et Brest, sans nouvelle de sa « conserve » , comme disent les navigateurs.

De retour en métropole, et sans doute pour pouvoir financer une seconde expédition, Kerguelen vantera excessivement les potentialités de sa découverte auprès du roi et des ministères. Ce sera plus tard un grief supplémentaire du Conseil de Guerre.

Le 26 mars 1773, peu avant d’apprendre la survie des marins du Gros Ventre, Kerguelen quitte Brest au commandement du vaisseau le Roland (417 hommes et 36 canons) et la frégate l’Oiseau en compagnie d’un aréopage d’ingénieurs, astronomes, naturalistes, dessinateurs ou biologistes...

Embarquée subrepticement de nuit juste avant le départ, une jeune femme du nom de Louise Seguin, passagère clandestine et maîtresse de Kerguelen, fait partie de l’expédition. Ce sera un grief de plus dans l’acte d’accusation, et non des moindres, puisque dans les attendus du jugement, on pourra lire que « Kerguelen avait créé une rivalité préjudiciable aux biens du service en altérant la concorde qui doit régner dans un vaisseau et en affaiblissant même le respect dû à l’autorité ».

En décembre 1773, les navires royaux arrivent en vue de l’archipel dans des conditions toujours très défavorables : l’expédition doit affronter une fois de plus la tempête, et les hommes sont affectés du scorbut. Là encore, Kerguelen envoie à terre son second navire, la frégate L’ Oiseau, qui finira par trouver un abri et débarquer quelques hommes chargés d’apposer une plaque de cuivre matérialisant définitivement la prise de possession.

Là encore, Kerguelen se refuse à mettre les pieds sur un point quelconque de l’archipel. Craignant que la tempête ne finisse par venir à bout des amarrages et que les coques n’aillent se fracasser sur les rochers, soucieux de l’épuisement de ses équipages engourdis par le froid et frappés par le scorbut, il donne l’ordre de repli et de départ au grand dam de la plupart de ses officiers.

Ce sont les diatribes des officiers et les récits des survivants du Gros Ventre (son commandant M. Saint Allouarn est mort avant son retour en Europe) qui finiront par conduire Kerguelen à son retour en métropole devant le Conseil de Guerre réuni par Sartine, ministre de la marine de Louis XVI.

Bien sûr, on cherchera surtout à le discréditer dans une instruction conduite essentiellement à charge par le procureur militaire : on lui reproche donc principalement de ne pas avoir débarqué aux terres Australes, des défaillances de commandement, de trop fréquents débarquements aux escales, de s’être enrichi en vendant de la pacotille, et surtout,-- crimes des crimes-- par rapport à la réglementation maritime de l’époque, d’avoir embarqué une femme à bord, qui plus est son amante!!!.

Le conseil de guerre condamne alors le découvreur des îles Kerguelen à 20 années de forteresse. Le roi Louis XVI lui accordera sa grâce en réduisant cette peine à 6 ans; il en fera en fait 3 dans le château de Saumur, avant d’être réhabilité, de se rallier à la révolution, d’être fait Contre-amiral, et de s’illustrer à la bataille de Groix contre une flotte anglaise au large de Lorient le 16 juin 1795.

Mis à la retraite en 1796, Yves Joseph de Kerguelen meurt l’année suivante à Paris à l’âge de 63 ans.

Les îles Kerguelen, royaume des ombres et de la désolation, du froid et des quarantièmes rugissants, ont-elles eu raison de ce marin exceptionnel et courageux, guerrier infatigable, aventurier avide tant de découverte que de gloire ?

Kerguelen a-t-il été saisi d’angoisse devant le spectacle de cette terre lointaine au point de ne pouvoir y débarquer ?